Que nous réserve demain ?

Le XXème siècle a vu se poursuivre ou se concrétiser un certain nombre de grands projets destinés à apporter confort, bien-être et santé à l'humanité. Attardons nous un peu, si vous le voulez bien, sur quelques unes de ces grandes réalisations. On peut constater que pour la plupart, non seulement elles n'ont pas été étendues à l'ensemble de l'humanité mais ont été perverties et en partie détournées de leur but initial par l'usage vicié qui en est fait.

La création de réseaux de distribution d'eau potable a été un progrès immense sur le plan de la santé et de l'hygiène. Les réseaux d'eau avaient débuté avec les Romains, ainsi en deux millénaires une grande partie a été réalisée. De nos jours les pays développés sont totalement équipés, la typhoide et le choléra y ont pratiquement disparu. Entre temps nos ancêtres buvaient surtout du vin, il est évident que s'ils avaient bu l'eau alors disponible, nous ne serions probablement pas là pour en parler. Il est d'autant plus navrant de voir se développer un gaspillage de ce bien précieux, par exemple pour l'arrosage de terrains de golf et le remplissage de piscines privées, alors que plus de la moitié de l'humanité n'y pas accès pour ses besoins les plus élémentaires.

Le réseau de distribution d'électricité fut complété, en France dans les années qui précédèrent la deuxième guerre mondiale. Lumière abondante, douce chaleur, froid pour conserver les aliments et force motrice pour laver le linge ou actionner une foule de gadgets tous plus indispensables les uns que les autres, furent ainsi, peu à peu, mis à profit pour améliorer notre confort. Qui dit confort dit culture et qui dit culture dit progrès. Il est d'autant plus navrant de voir gaspiller cette énergie pour éclairer le ciel pendant la nuit. Les moyens existent pour éclairer le sol sans éclairer le ciel, mais l'ignorance ou la vanité des élus nous ont conduit là où nous en sommes aujourdh'hui. La Lune, Vénus, Jupiter, et quelques étoiles, voilà ce qu'il nous reste de l'immensité de l'univers. C'est ainsi que la plupart des personnes nées après 1960 n'ont jamais vu le ciel nocture et lorsque on en parle devant elles prennent un air ébahi, s'imaginant qu'on ne saurait voir le ciel autrement qu'avec des télescopes géants situés sur les sommets des Andes. La lumière des galaxies lointaines a mis des millons d'années à nous parvenir et nous la perdons dans la dernière milliseconde de son trajet, masquée par cette profusion de lumière terrestre inutile. Non seulement inutile mais qui nous coûte un certain nombre de centrales pour la produire. Lorsque j'étais enfant, je concevais qu'on puisse aller un jour sur la lune mais que le ciel nocturne puisse disparaître était au delà de ce que j'étais capable d'imaginer.

Dans le domaine des déplacements le plus grand progrès a sans doute été l'avènement du chemin de fer. Nous avons connu un temps où le train allait pratiquement partout et nous déposait, presque, devant notre porte. Les heures de départ et d'arrivées étaient connues à la minute près et stables dans le temps, il existait un annuaire pour celà. De nos jours et par suite du laxisme qui a conduit à un développement aberrant et anarchique du transport automobile, le réseau des chemins de fer s'est réduit comme peau de chagrin. Les horaires sont variables, imprévisibles et non respectés, et l'annuaire Chaix a dû fermer ses pages. De nos jours, on se transporte mais on ne voyage plus. C'est ainsi que l'on revient aussi sot qu'on est parti. Quant à l'automobile, moyen de transport souple et rapide par excellence, qui nous conduit sans discontinuité de notre point de départ à notre point de destination, son usage souffre d'une planification stupide et déplorable. Il est pourtant évident que si tout le monde, le même jour et à la même heure, se trouve au même endroit sur la route, la vitesse tend inéluctablement vers zéro et le temps passé atteint des valeurs effrayantes. Je ne vous fait pas un dessin, écoutez plutôt «fison buté».

Le télégraphe puis le téléphone ont permis de communiquer au loin. Deux inventions de toute façon inéluctables à partir du moment où les personnes ont la possibilité de se déplacer hors de portée de voix. On peut les considérer comme un corollaire de la démocratisation des moyens de déplacement. On a vu récemment le téléphone se gadgetiser, dans sa version mobile, ne couvrant plus sous cette forme la totalité du territoire et l'on peut légitimement se demander si à l'avenir on disposera du téléphone hors des villes et des autoroutes. Les lignes traditionnelles étant alors abandonnées comme l'ont été les lignes secondaires des chemins de fer. Déjà, et dès maintenant, à plus de quelques kilomètres du central on est victime de la «fracture numérique» si on souhaite utiliser sa ligne pour accéder au réseau internet.

Radiodiffusion et télévision, inventions géniales qui, aux dires de leurs promoteurs, devaient véhiculer la culture et ainsi la mettre à la portée de tous. Encore une promesse qui n'a été tenue que très partiellement, la dose de bêtise ainsi véhiculée, quand ce n'est pas de propagande, a été et reste bien supérieure à la dose de culture. Le but avoué des médias étant désormais de vendre du temps de cerveau disponible aux multinationales qui produisent les boissons obèsifiantes.

Internet est la dernière grande réalisation que l'on puisse comparer à celles évoquées ci-dessus. Bien que sa technologie ait trente ans d'existence, son accès au public n'a été favorisé que récemment et le succès a été immédiat. Pour l'instant internet est pratiquement libre. L'utilisateur reçoit par ce moyen ce qu'il demande et non plus ce qu'on veut bien lui distiller comme c'est le cas avec la radio et la télévision, il redevient un usager actif. Une démarche à réapprendre après tant d'années de passivité. Internet ? Oui mais pour combien de temps encore avant que les gouvernements ne restreignent notre accès et les multinationales ne l'accaparent ?

Après les grandes réalisations que nous venons d'évoquer, et dont l'énumération se garde bien de vouloir être exhaustive, que reste-t-il pour occuper les cerveaux et les grandes entreprises au XXIème siècle ? On a déjà tout me direz-vous. Pour ce qui est de certaines choses je dirais même qu'on a probablement trop. Ce serait oublier que chaque avancée de la technologie crée son cortège de nouveaux besoins. Ainsi, principalement en Europe et aux Etats-Unis, par suite d'un usage immodéré des automobiles équipées de moteurs thermiques, les villes manquent d'air. J'entend d'air respirable bien sûr, exactement comme on parle d'eau potable. On constate déjà le même phénomène en Chine, aggravé par des centaines de centrales au charbon. Voire en Inde par suite de la cuisson des aliments par la bouse de yack séchée. Un peu partout dans le monde le niveau de pollution dans les villes atteint des niveaux intolérables, cause de maladies chroniques pour une partie de la population et du décès des personnes à la santé fragile. Beaucoup d'argent est dépensé pour mesurer cette pollution, à défaut de la réduire.

C'est ainsi que nous verrons inéluctablement apparaître de grands réseaux de distribution d'air, exactement comme on l'a déjà fait pour l'eau. Le projet est grandiose mais il est a la portée des technologies actuelles. Dès qu'un consensus se seras dégagé sur le plan politique, c'est pain bénit pour les grandes entreprises de génie civil. Des chantiers qui vont occuper de la main d'oeuvre durant des décenies. Pour les réseaux d'air il va falloir faire plus vite que pour les réseaux d'eau car si la mort coûte peu, par contre la maladie est de nos jours hors de prix. Il est vrai que les moyens techniques existent et sont largement à la hauteur de la tâche. Une belle démonstration de ces moyens a été faite avec le perçage d'un trou de ver sous la Manche, une réalisation de prestige aussi utile qu'indispensable.

Compte tenu de ce que nous venons de voir précédemment, quels effets pervers et quelles dérives entraînera cette distribution d'air ? On peut bien sûr craindre le pire. Certains gouvernements feront-il usage d'additifs soporifiques comme ils l'ont déjà fait dans le passé pour la radio et la télévision ?

Il faut être bien conscient que les réserves d'air respirable ne sont pas non plus inépuisables et devront être managées avec soin. Mais là aussi on peut faire confiance à l'imagination des gourvernements. On peut s'attendre à voir certains pays économiquement développés aller, moyennant une poignée de dollars, pomper l'air aux pays moins développés, comme on l'a déjà vu pratiquer dans d'autres domaines. L'étape suivante sera inévitablement la distribution d'air synthétisé ou reconstitué à partir des éléments de base extraits de l'air pollué, les composants nocifs résiduels constituant alors une nouvelle source de déchêts qu'il faudra bien sûr recycler. Ce recyclage génèrera lui-même de nouveaux profits. Donc aucun souci pour ce qui est de l'activité économique au XXIème siècle. Polluer et dépolluer, en plus ou à défaut d'augmenter la qualité de notre vie, augmentera toujours le Produit National Brut et les profits des multinationales.

En attendant ces merveilleuses réalisations, les citadins sont priés de retenir leur souffle. Quant aux personnes à la santé fragile, elles ne seront malheureusement plus là pour en rire.



-- Robert L.E.Billon , Août 2003

    
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