L'épopée de Superphénix

Avant propos

Superphénix, la centrale qui tue... avant même que sa construction n'ait commencé. La décision de construire cette centrale, d'un type nouveau, fut prise en l'absence totale de concertation avec les populations. Aux revendications de démocratie, une fois de plus on opposa la force. C'est ainsi que les 30 et 31 Juillet 1977, quelques dizaines de milliers de manifestants, pour la plupart pacifiques, se retrouvèrent face à quelques centaines de CRS armés jusqu'aux dents. Une charge brutale, où il fut fait usage d'armes de guerre, fit un mort, Vital Michalon tué par l'explosion d'une grenade offensive, ainsi que plusieurs centaines de blessés, dont certains perdirent quelques membres, déchiquetés par les grenades. Des dizaines d'arrestations, un simulâcre de procès, des innocents condamnés à la prison. L'Etat français, un des plus durs d'Europe, n'a guère connu jusque là d'autre méthode de dialogue que l'usage de la force brute et de la provocation. Une fois de plus, il n'est pas sorti grandi de cette triste aventure.

Un tel fait de guerre d'un état dit démocratique contre des manifestants pacifiques ne passa pas inapperçu au niveau mondial. Le magazine National Geographic publia cette photo dans son numéro d'avril 1979.

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Voici donc sous quels auspices débuta la construction de ce chef d'oeuvre de la technologie, en avance sur son temps d'au moins une génération. C'est depuis ces graves évènements que le citoyen a ancré dans son esprit cette image tenace associant industrie nucléaire, état policier, CRS, mort. Une image qui, trente-cinq ans après, hante toujours les esprits.

Historique

Superphénix a fait suite au réacteur expérimental Phénix installé, lui, à Cadarache. Superphénix était le premier réacteur nucléaire surgénérateur, en ce sens qu'il devait produire plus de combustible qu'il en consommait. (Au prix, il est vrai, d'opérations de retraitement délicates et coûteuses sur le combustible irradié.). Rappelons que Phoenix était l'oiseau fabuleux de la mythologie égyptienne a qui on attribuait le pouvoir de renaître de ses cendres. A l'époque on pensait que les réserves d'uranium allaient être rapidement épuisées. Il s'est avéré qu'il n'en était rien et, de nos jours, l'uranium est abondant et bon marché. L'acquisition des connaissances technologiques permettant de réaliser ce surgénérateur a alimenté en contrats de recherche de nombreux laboratoires et a fourni des sujets d'études à une génération de chercheurs. Les résultats de ces travaux demeurent un acquis important et beaucoup sont applicables dans d'autres domaines. Sa construction achevée il fallut encore plusieurs années pour amener cette centrale d'un type nouveau à produire de l'électricité de façon suivie. N'oublions pas que Superphénix était en fait un prototype en vraie grandeur. Lorsqu'on y parvint enfin, les politiques, pour des raisons idéologiques, décidèrent l'arrêt de la centrale et sa démolition. On peut considérer que cette filière est probablement sans avenir, cependant n'eut-il pas été sage de tenter de rentabiliser, au moins en partie, un investissement aussi énorme en lui laissant produire de l'électricité pendant quelques dizaines d'années ?

-- Robert L.E. Billon, septembre 2004

Ci-après, extraits de ENTREPRISES RHONE-ALPES, Juillet 2000 - N° 1438

Les derniers battements d'ailes de Superphénix

Depuis l'annonce du démantèlement du surgénérateur de Creys-Malville, il y a trois ans, le bassin de Morestel, en Isère, se bat pour réussir à revivre " après la centrale ". Meurtrie par une décision brutale, la ville joue désormais son va-tout pour parvenir à retrouver une activité économique qui disparait avec la centrale.

Paris, Assemblée nationale, 19 juin 1997 : Le nouveau Premier ministre, Lionel Jospin, prononce son discours de politique générale. Au beau milieu d'une allocution qui dure depuis plusieurs heures, une phrase tombe, implacable. " Le surgénérateur de Creys-Malville sera démantelé ". Le nouveau premier ministre de la France, porté par les voix de la gauche plurielle, vient de céder aux sirènes de ses alliés écologistes, fervents opposants du nucléaire en général et du surgénérateur isèrois plus particulièrement. A plusieurs centaines de kilomètres de là, les salariés de la centrale, les habitants, les commerçants du canton de Morestel sont sous le choc. Pour eux, l'arrêt définitif de Creys-Malville signe la fin de plus d'un millier d'emplois et la mort quasi assurée de la petite bourgade du Nord-Isère, peuplée de quelque trois mille âmes. Mais au delà du traumatisme local illustré par de nombreux mouvements sociaux en Isère comme à Paris où salariés et habitants du canton n'ont pas hésité à se rendre pour s'opposer à cette décision qualifiée d'absurde, la fermeture de Superphénix est bel et bien le symbole d'un tournant dans la politique énergétique nationale.

Le compte est... lourd

D'un côté, les écologistes crient victoire sur le nucléaire et sur ce surgénérateur sans cesse décrié, notamment pour son coût pharaonique. De l'autre, le gouvernement fran¸ais et la Nersa - la société créée pour construire et exploiter Superphénix - tirent le bilan de l'opération. Ainsi, un récent rapport de la cour des comptes évalue à 60 milliards de francs le coût total du surgénérateur. Une note qui inclut l'investissement initial, l'exploitation, la déconstruction et le traitement des déchets. L'addition n'a, bien évidemment, pas de valeur définitive tant que les travaux de démantèlement - qui souvent ne sont pas exempts de surprises financières - ne sont pas achevés. Chez EDF, on reste discret sur les chiffres. Mais toujours est-il qu'en septembre 1998, la compagnie française a racheté les parts de ses consoeurs italienne et allemande dans Nersa. Par ailleurs, la compagnie nationale a évalué le montant des dépenses à engager pour la déconstruction à 16,5 milliards. Enfin, François Peyronnet, délégué à la reconversion de Superphénix par le ministère de l'économie et de l'industrie avance le chiffre de 40 millions de francs de crédits engagés à ce jour par l'Etat pour la reconversion du surgénérateur, hors financement des collectivités locales. Un bilan financier pour le moins élevé pour ce que d'aucuns qualifient d'expérience qui n'a jamais marché. Une version fortement contestée par EDF, même si elle reconnaît que le plus petit incident conduisait à l'arrêt du réacteur qui ne pouvait redémarrer que sur décret. Des arcanes administratives à l'origine de longues périodes d'arrêt. Superphénix était un prototype et il est certain qu'à ce titre, il s'est évélé être un équipement coûteux. Il n'en reste pas moins qu'en 1996, le réacteur a fonctionn 250 jours sur l'année et a produit 3,5 milliards de kw (ndlr : kwh) d'électricité, affirme Jean-Louis Regairaz, directeur de cabinet en charge du pôle communication à Creys-Malville. Une performance qui satisfaisait pleinement la Nersa et, surtout, les quelque 3000 personnes qui vivaient de la centrale et se retrouvent aujourd'hui, qui demandeur d'emploi, qui reclassé à plusieurs centaines de kilomètres de là.

Les étapes du démantèlement
De 2000 à 2002 : déchargement du réacteur
De 2002 à 2003 : démolition de la salle des machines
De 2003 à 2006 : préparation de la vidange et installation du système de retraitement du sodium
De 2006 à 2013 : traitement du sodium
De 2013 à 2015 : fin de vidange de la cuve du réacteur et carbonatation (passivation) du sodium
2015 : la centrale est à l'état de mise à l'arrêt définitif

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Le maire de Morestel ne mâche pas ses mots. " Déconstruction, qu'est-ce que ça veut dire ? C'est une démolition qui ne veut pas dire son nom ! " Ou encore, à propos des mesures de sécurité : " Ils sont au moins 80 à continuer à se faire peur la nuit en patrouillant avec leurs chiens, comme si la centrale intéressait encore quelqu'un ! " Superphénix, Christian Rival ne veut plus en entendre parler. " Cette centrale, c'était le diable. Maintenant qu'ils sont parvenus à la tuer, qu'ils en fassent le musée de la connerie humaine ! "

Camarades salariés... on vous fait confiance pour savoir vous recaser.
Chers contribuables... condoléances.

-- Textes recueillis par rleb

Ci-après, recueilli sur le site du DAUPHINÉ LIBÉRÉ le 29 janvier 2016
http://www.ledauphine.com/economie-et-finance/2016/01/28/superphenix-c-est-le-debut-de-la-fin

Le début de la fin

ISÈRE Superphénix à Creys-Mépieu : c’est le début de la fin. Couplée au réseau en janvier 1986, la centrale nucléaire de Creys-Malville a connu 53 mois d’exploitation, ce qui correspond à neuf ans de consommation électrique pour une ville comme Grenoble.
[...]
De l’extérieur, on pourrait croire qu’il ne se passe rien. La centrale de Creys-Malville a quasiment le même aspect. Pourtant, elle est en cours de déconstruction. Son intérieur se vide progressivement de toute cette technologie.
Le 30 décembre 1998, le décret de mise à l’arrêt définitif de la centrale nucléaire de Creys-Malville (le réacteur à neutrons rapides Superphénix), était publié. Depuis, pour mener à bien ce chantier inédit - jamais un réacteur nucléaire de plus de 1 000 MW n’a encore été démantelé en France - EDF et ses partenaires inventent, innovent, construisent aussi, dans un seul but : déconstruire.
Les étapes se succèdent à l’intérieur de la centrale. La prochaine, colossale et spectaculaire, devrait débuter en 2018. EDF a confié à Areva la déconstruction de la cuve de son réacteur nucléaire pour un contrat de plusieurs dizaines de millions d’euros. « En 2018, nous allons procéder à la découpe des éléments à l’intérieur de la cuve, sous eau, mais pour pouvoir le faire, il y a des étapes » explique Damien Bilbault, directeur du site de Creys-Malville.
L’objectif est de finir de nettoyer la cuve de son sodium résiduel avant sa découpe. Le sodium servait à transporter la chaleur issue du coeur du réacteur pour produire de la vapeur d’eau et ainsi alimenter les turbines et produire de l’électricité.
L’ensemble du démantèlement des équipements internes de la cuve (et le conditionnement des déchets) est un chantier prévu pour durer jusqu’en 2 024. Au pic du chantier, environ 50 personnes seront mobilisées.

-- Texte recueilli par rleb

Notes

Il est curieux de constater que, alors que la France met un terme à ses projets de réacteurs à neutrons rapides refroidis par des métaux fondus, aux Etats-Unis on s'y intéresse fortement. Les réacteurs à neutrons rapides, non seulement produisent moins de résidus radioactifs à longue durée de vie mais peuvent "brûler" une partie des déchets à longue durée de vie laissés par les réacteurs classiques et ainsi contribuer à résoudre, au moins partiellement, l'épineux problème de leur stockage.

Ces nouveaux projets dits LBE (lead-bismuth eutectic) font appel à un alliage plomb-bismuth, moins bon conducteur calorifique que le sodium, mais plus facile à mettre en oeuvre. C'est cette technologie qu'utilisent, depuis de nombreuses années, les russes, sur leurs sous-marins nucléaires de type Alpha à coque en titane, les plus rapides au monde.

-- d'aprés Eric P.Loewen, American Scientist Nov-Dec 2004

Les réacteurs à neutrons rapides peuvent extraire beaucoup plus d'énergie des combustibles recyclés, minimiser les risques de prolifération d'armes et réduire de façon remarquable la durée de stockage et d'isolement des résidus finaux, de 10 000 ans à quelques centaines d'années. Les combustibles irradiés des centrales actuelles à neutrons thermiques n'ont en fait délivré que 6 % de leur potentiel énergétique, les 94 % restants deviendraient le combustible des centrales de nouvelle génération, pour laisser au final seulement 1 % de résidu définitif, d'où un faible volume à stocker.

-- d'apès William H. Hannum, Gerald E. Marsh et George S. Stanford, Scientific American, Décembre 2005

Il serait temps que les gouvernements se décident à promouvoir l'usage des énergies renouvelables (et la fabrication des équipements correspondants) ainsi que le recyclage de celles aujourd'hui perdues et évacuées dans l'athmosphère ou l'eau des fleuves. Rappelons que l'énergie solaire reçue par la terre pendant 40 minutes est équivalente à la consommation mondiale pendant un an. Pendant que la France s'attarde sur les énergies du passé, nucléaire et pétrole, elle prend un retard considérable dans les énergies renouvelables. Cest ainsi que l'Allemagne et la Chine sont aujourd'hui au premier rang pour les éoliennes, la Californie et l'Espagne pour le photovoltaïque.

-- rleb, décembre 2009

Un article de Christine Bergé dans Le Monde Diplomatique d'avril 2011 fait le point ainsi qu'un état des lieux. La construction aura duré dix ans, la période utile d'exploitation onze ans. Quant à la déconstruction, quatre cent personnes s'y activent depuis une dizaine d'années dans des tâches forts délicates, ces opérations étant susceptibles de durer encore une vingtaine d'années. Le sort du combustible très partiellement consommé, actuellement stocké sur place, ne semble pas encore être fixé. Les cinq mille cinq cents tonnes de sodium métal subissent un traitement long et fastidieux qui permet, après diverses réactions chimiques, de passiver le sodium et de l'incorporer dans une sorte de béton, le but et de faciliter le stockage, néanmoins la radioactivité demeure. A terme il devrait y avoir trente huit mille blocs de béton au sodium, lesquels seraient stockés sur site jusqu'en 2035. Ensuite il pourraient rejoindre un cimetière nucléaire qui reste encore à créer.

-- rleb, avril 2011

Évidemment tout cela a un coût et nous, abonnés au réseau de distribution d'électricité, pouvons le constater par l'augmentation, d'année en année, de notre facture d'électricité. Sachant qu'à terme il y aura plus de 50 réacteurs à déconstruire nous avons, ainsi que nos descendants, de belles factures en perspective.

-- rleb, janvier 2016

Bibliographie

Pour ce qui est des évènements de 1977, on lira avec intérêt le livre noir du collectif d'enqête Aujourd'hui Malville - Demain La France, Editions La Pensée Sauvage, 1978 (rare, à chercher chez les bouquinistes).

Pour ce qui concerne l'énergie solaire : Scientific American, January 2008, A Solar Grand Plan by Ken Zweibel, James Mason and Vasilis Fthenakis.

Pour ce qui concerne le recyclage des énergies perdues : American Scientist, Volume 97, January-February 2009, Getting the most from energy, Thomas R. Casten and Phillip F. Schewe.

Pour le démantèlement : Superphenix, déconstruction d'un mythe, Christine Bergé, Ed. Empêcheurs de penser en rond, coll. La découverte, 2010, 150 p., EAN:  9782359250374.

PRÉSENTATION DE L'ÉDITEUR POUR CE DERNIER LIVRE
Le monde nucléaire a eu sa période héroïque, celle de la construction des centrales. Aujourd'hui, nous sommes entrés dans la période sombre, celle de la déconstruction des centrales devenues usées, vieillies, voire dangereuses (cinquante-huit "tranches"s nucléaires fonctionnent, neuf sont arrêtées). Parmi les centrales aujourd'hui en déconstruction, Superphénix est une figure de proue. Haut lieu historique, la centrale de Creys-Malville fut, dans les années 1970, le lieu d'une guerre entre partisans et adversaires du nucléaire qui se solda par un mort. Finalement, le plus grand surgénérateur du monde ne fonctionna que quelques années jusqu'à son arrêt par une décision politique en 1998, qui plongea les salariés dans la consternation. Le formidable chantier de déconstruction est prévu pour durer encore plusieurs dizaines d'années. L'auteure nous livre une enquête menée sur ce site étonnant auquel elle a eu exceptionnellement accès. II ne s'agit pas seulement de décrire les techniques de démantèlement, qui produisent de grandes quantités de déchets. II s'agit aussi de déconstruire un mythe : une centrale qui ressemble à une basilique, conçue comme un hymne à la technologie sur un registre quasi religieux ; une centrale capable de renouveler elle-même son aliment de combustion. Le "moteur éternel", un rêve d'ingénieurs, mais à quel prix ?

Liens

Surgénération

Réacteur à neutrons rapides

Les surgénérateurs

Artticle d'Isabelle Barré

Artticle de Christine Bergé

    
File: super.html, 2004-09-13 - Robert L.E. Billon - Last update: 2016-01-30