DANGER... Gare au gourou !

Un nouveau fléau social

LES NOUVEAUX GOUROUS

« Il y a eu l'ère des organisateurs, celle des planificateurs, celle des économistes, des futurologues. On les consultait comme on consulte les diseuses de bonne aventure, liseuses de boule de cristal ou de marc de café. Ce temps-là est révolu. Voici venu celui des nouveaux gourous. Ils ont pignon sur rue, dirigent des cabinets, animent des séminaires, des colloques dans des châteaux-résidences où l'on suit leurs stages. Place aux "dircom" (directeurs en communication), aux directeurs en ressources humaines, aux robots de l'analyse, aux consultants en tous genres ! On nous annonce le "new age", l'arrivée des "hommes d'affaires du plein évangile", des cultivateurs... de la culture, des "lobbystes".
Charlatans ou précurseurs ? ... »

« ...les stages de sortie du corps d'abord. Ils sont animés par des agents aux voyages intersidéraux du nouvel âge. Les régressions vers la vie antérieure, ensuite, qui sont autant de techniques déviantes, proches du rebirthing, prisées par un nombre croissant d'analystes. »

--Jean-Pierre Bourcier, LES NOUVEAUX GOUROUS, Editions Ramsay, Paris 1991

On mesure le degré de décadence de notre époque quand on voit certains gourous de pacotille parvenir à se faire certifier en Sorbonne. C'est ainsi qu'en Avril 2001, Madame Germaine Hanselmann, alias Elizabeth Tessier, tireuse de cartes et astrologue préférée de feu le président Miterrand (qui fut un de ces "malades qui nous gouvernent") (1), a réussi, grâce à la complaisance de sociologues universitaires égarés, la bouffonnerie de se faire élever au grade de docteur. Colbert avait chassé les charlatans de la Sorbonne, trois siècles et demi plus tard, les voici de retour.

--RLEB, Janvier 2005

(1) CES MALADES QUI NOUS GOUVERNENT, par Pierre Rentchnick, Editions Stock 1996

LE COACHING

Selon la fable, c'était la mouche qui pensait qu'elle faisait avancer le coche. De nos jours on fait appel au coach pour faire courir les salariés. Quelques années en arrière on appelait "social engineering" les manipulations psychologiques mais il semble que cette expression soit devenue tabou. Les mots changent, les maux restent ! Le coaching est donc le nouvel évangile du productivisme et de la mondialisation.

Des motivations inavouables et non désintéressées (entre 200 et 4500 Euros la journée, selon leur notoriété et leur aptitude à vendre leur soupe) ont poussé un certain nombre de charlatans à proposer leurs services pour coacher (accompagner, entraîner, conditionner à suivre la voie qu'on a choisie pour eux) les salariés et cadres des entreprises. Pour les cadres il s'agit de les rendre plus aptes à générer plus vite de la plus-value. Quant aux simples salariés, cela tient souvent lieu de vaseline avant restructuration, délocalisation, licenciement. Ces simulacres de formation étant principalement axés sur l'individualisme, les syndicats ne suscitent plus l'enthousiame chez les salariés ainsi mis en condition. Les dirigeants des groupes industriels ont donc bien raison de jubiler de satisfaction.

Ces tristes pratiques ont été importées en France seulement vers 1991. Mais importées d'où, au fait ? Devinez. Eh bien ! oui. Vous avez trouvé ! Du pays du spirituel et du créationisme, de l'empire de la (statue de la) liberté. Et bien que d'apparition récente chez nous le coaching (je m'y ferai jamais, je trouve ce mot cochon) représentait déjà en 2002 un marché estimé à 100 millions d'Euros avec environ 2000 prestataires. Les prévisions pour 2004-2005 sont de 450 millions d'Euros. A voir comment les rapaces se précipitent sur leurs proies, c'est dire si ce marché est juteux. Soulignons que ces remodelages cérébreaux sont habituellement pris en charge au titre de la formation. Ainsi l'argent de la collectivité sert à financer le décervelage.

Ces rapaces viennent parfois du monde du sport de "haut niveau". C'est là en effet que la victime doit produire vite médailles et dollars avant d'être jetée aux orties une fois son potentiel épuisé. Ils viennent aussi, bien qu'ils avancent camouflés, de l'église de scientologie et autres sectes. Il leur suffit d'ailleurs de deux ou trois stages pour devenir l'un de ces gourous. C'est très attractif car rapidement productif pour ce petit monde des charlatans, marchands d'ésotérisme et autres sectaires. Devenez gourou en trois leçons !

La méthode mise en oeuvre est un ramassis des pseudo-sciences déjà connues au siècle dernier : analyse transactionnelle, psychologie du comportement, programmation neuro linguistique, sophrologie. La méthode Coué y figure aussi en bonne place. Ces escrocs, lesquels appliquent à l'humain les méthodes que Pavlov (Riazan 1849 - Leningrad 1936) appliquait à ses chiens de laboratoire, peuvent parfois être démasqués par leur vocabulaire ésotérique et fumeux (magnétisme, ondes, énergie, chakras, chamanisme, ...)

«Toute démarche consistant à motiver les salariés s'apparente en effet à la psychologie de Pavlov. C'est les considérer comme des ânes auxquels on donnerait des carottes.» La mobilisation des hommes ? : «...vocabulaire qui se veut novateur tout en constituant un emprunt au vocabulaire militaire le plus traditionnel.»
(-- Hubert Landier, professeur d'université, cité par Jean-Pierre Bourcier dans "Les Nouveaux Gourous").

L'intitulé du stage n'a que peu d'importance puisque il n'est qu'un paravent permettant au gourou d'exercer ses nuisances et s'assurer sa pitance. Ainsi des stages aussi divers que : sauvetage en zone humide, informatique zen, escalade à l'élastique, mountain-bike en milieu urbain, détection de minéraux rares, boxe bulgare, peinture sur sable, apnée extrême, yi-king sur tarots, versification classique, chant gregorien, respiration ventrale, danse berbère, respiration dorsale, conduite sur glace, dressage de puces, cannage de chaises, réparation d'horloges comtoises, sophrologie phrénologique, colmatage de fuites d'aura, etc... , peuvent très bien servir de couverture, de véhicule, aux mêmes agissements.

Pour quelques sujets qui traverseront cette tourmente sans trop de dommages, combien en reviendront inaptes, boulets pour leur famille et la société. Ces victimes sont tellement déstructurées qu'elles ne voient pas la nécessité de se grouper en associations de défense et porter plainte contre ceux qui les ont conduit là. Il faudra probablement encore plusieurs décades et des milliers de victimes avant que leurs droits légitimes soient reconnus. Comme pour l'amiante et le sang contaminé. Pendant ce temps leurs bourreaux auront vécu grassement avec les profits ainsi réalisés à leur détriment. L'espèce des "responsables non coupables" n'est nullement en voie d'extinction.

Bref ! En voilà une méthode qu'elle est bonne pour les patrons et grands capitalistes de tout poil. A tel point qu'il parait (lu dans la presse) qu'elle est maintenant enseignée à la faculté des sports de Dijon. Ainsi ces brigands pourront ceindre leur front des lauriers universitaires, ce qui ne peut qu'accroître leurs prétentions et les autorisera à ponctionner avec encore plus de vigueur les budgets formation.

-- RLEB Décembre 2004

QUELQUES POINTS DE VUE

«Je n'appris que plus tard que je m'étais mépris sur la fonction réelle de ces stages, qui n'avaient pas en réalité pour but, comme je le croyais, de fabriquer, grâce à la montée de l'angoisse, une énergie destinée à faire trouver de nouvelles idées. J'étais persuadé que cette tension créait une énergie propice à l'invention, alors qu'il ne s'agissait, tout prosaïquement, que d'éponger le 1 % patronal destiné à la Formation continue...»

-- Roland Moreno, THEORIE DU BORDEL AMBIANT, © Belfond, 1990

«Quand on apprend, fin 1991, [...] qu'une classe terminale d'une grande ville a fait la démonstration de son esprit d'initiative et du rôle grandissant des sciences parallèles dans le recrutement en entreprises en organisant une réunion pour étaler les mérites de sophrologues, numérologues, astrologues, morphopsychologues, on en reste abasourdi. [...]
C'est qu'en effet un problème se pose. A tous les échelons, la société est grangrenée par l'obsurantisme et les conséquences peuvent en être graves. L'occulte est passé en peu d'années d'un niveau simplement artisanal et local à un stade commercial et international.«

-- George Charpack, prix Nobel de physique 1992, et Henri Broch, université de Nice, dans DEVENEZ SORCIERS, DEVENEZ SAVANTS, Ed. Odile Jacob, Avril 2002, ISBN 9782702876589.

«Lors d'une formation de sophrologie, j'ai connu un psychanalyste qui venait lui aussi se former. Il a tellement été perturbé qu'il s'est pendu 2 jours après la fin de la formation. Je ne pense pas que ce soit les méthodes employées qui soient dangeureuses, mais seulement la façon dont elles sont utilisées sur les personnes non détectées en souffrance. La première précaution que doit prendre un thérapeute c'est de s'assurer qu'il n'y a pas ce type de traumatisme chez l'autre. La seconde précaution est de ne jamais laisser une personne partir dans un état névrotique.»

-- Stéphanie R. , psychologue, correspondance privée, Juin 2005

"Dans un monde soumis au dieu performance, pas de place pour l'art, la poésie, et plus généralement, toute forme d'expression échappant à la dictature de la rentabilité."

-- Antonio Fischetti, journaliste

La question se pose donc de savoir comment la doctrine managériale actuelle en vient à prescrire aussi massivement une pratique qu'elle reconnaît par ailleurs comme dangereuse et particulièrement délicate à mettre en place.

-- Valérie Brunel, sociologue

L'illustration ci-contre a été empruntée à Frapar dans Boulot Comics, © Marabout, 2003, ISBN 9782501040587


Valérie Brunel vient de publier aux éditions La Découverte (Novembre 2004) un livre tiré de sa thèse de doctorat :

LES MANAGERS DE L'AME
Le développement personnel en entreprise,
nouvelle pratique du pouvoir ?
ISBN 9782707143860

Dans ce livre, qui n'est pas facile pour un béotien en ce domaine, V.B. prétend seulement rendre lisibles les nouvelles pratiques managériales. Ceci se conçoit d'autant plus facilement que, dans le contexte d'une thèse, l'objectif est d'apporter un éclairage sur le sujet et non une prise de position. C'est pourquoi V.B. ne fait, dans son livre, qu'effleurer délicatement la surface de la vague sans prendre le risque de provoquer le moindre remous. Cependant, quitte à lire deux fois ou bien à lire entre les lignes, les ingrédients, les mots clés, les mots qui font mal sont bien là et c'est au lecteur que revient la tâche de se forger une critique objective, en traduisant parfois les néologismes de la langue de bois en mots de tous les jours. Il semble finalement que cette lecture soit à la portée de beaucoup de personnes. C'est ainsi que l'on y rencontre des expressions telles que celles ci-dessous dont je donne la traduction en langage courant, juste pour montrer le principe de la lecture. Une fois assimilé le principe, le lecteur fera facilement les bonnes substitutions.

..."la pratique de soi" - nouvelle appellation du conditionnement et de la manipulation psychologique.
..."individualiser" l'individu - l'isoler, plus on le rendra narcissique et centré sur lui-même, moins il sera attiré par la pratique syndicale.
...normalisation du comportement" - la norme étant bien sûr celle imposée unilatéralement par le patronat.
...conformisation sociale" - que pas une tête (ou une parole) ne dépasse.
...régulation subtile et peu coercitive - un conditionnement sournois remplace la force brute de l'autoritarisme.
...développement personnel - conditionnement du personnel.
...ce don de soi doit être géré psychologiquement - c'est tellement plus noble de se donner que de se vendre... et avec de la vaseline, ça passe tellement mieux !

Il parait évident aussi que le point d'interrogation, à la fin du sous-titre du livre, n'est là que pour la forme. Il ne semble pas que V.B. ait des doutes à ce sujet. Avant d'être chercheuse au CNRS, elle a exercé le conseil en management, elle sait incontestablement de quoi elle parle. Avoir su, avoir pu, réorienter ainsi sa carrière est une démarche qui l'honore et la distingue.

Ces pratiques créent dans la monde du travail une ambiance singulière, une sorte de tyrannie psychologique que certains finissent par accepter et subir, à tort, comme un mal nécessaire. Déjà, en son temps, Etienne de la Boëtie décrivait avec une grande clairvoyance les effets de la tyrannie dans son DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE.

«...avoir l'oeil au guet, l'oreille aux écoutes, pour épier d'où viendra le coup, pour découvrir les embûches, pour sentir la ruine de ses compagnons, pour aviser qui le trahit, rire à chacun et néanmoins se craindre de tous ; n'avoir ni ennemi ouvert ni ami assuré ayant toujours le visage riant et le coeur transi, ne pouvoir être joyeux et n'oser être triste ! »

Ce discours et toujours d'une brûlante actualité. Accepter de subir une telle tyrannie est tellement peu conforme à la nature même du monde vivant que, citant une fois encore La Boëtie :

« Même les boeufs sous le poids du joug geignent,
Et les oiseaux dans la cage se plaignent. »

-- RLEB, Décembre 2004

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PROFIL DE CARRIERE (ou comment passer sa vie à courrir après son ombre)

    
File: newgourou.html, 2004-12-09 - Robert L.E. Billon - Last update: 2010-11-28