Le portage à travers les âges

Il est curieux de constater que le portage des puissants par les serfs semble être une constante dans l'espèce humaine, et ceci depuis la plus haute antiquité. Les grands de ce monde, grands non pas toujours par la taille mais plus souvent par leurs prétentions et le pouvoir que veulent bien leur accorder les serfs sur lesquels ce pouvoir repose (cf Etienne de La Boëtie, Discours de la servitude volontaire), ont toujours jugé bon de faire ressentir à la base le poids du pouvoir. A moins que ce ne soit pour bien montrer que leur pouvoir ne repose en fait que sur ceux qui le soutiennent. Comment faire mieux ressentir ce poids que par le portage du détenteur du pouvoir ? Bien que cette démarche soit symbolique, le portage d'un symbole imaginaire serait bien moins ressenti physiquement par les porteurs que le portage de leur monarque adoré. Comme disait le dessinateur humoriste Mose "J'en ai plein le vécu de mon imaginaire". C'est ainsi que, des rois assyriens à l'Egypte ancienne, des princes germains au Vatican contemporain, on porte. De là est probablement venue l'expression "porter quelqu'un aux nues" (notez que par temps de brouillard il est facile de porter quelqu'un aux nues).



Chez les assyriens, au cours de cérémonies, on procédait au transport des dieux et par la même occasion, du roi qui est leur représentant traditionnel, naturel et autoproclamé auprès des humains. Ci-contre, illustration d'après Joachim Menant, Ninive et Babylone, Librairie Hachette et Cie, Paris, 1888.




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Horemheb défilant sur son trône véhiculé par des porteurs. Relief XVIIIe dynastie, Gebel Silsileh. On remarque les grands éventails, ou chasse-mouches, en plumes d'autruche.



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Lors de leur accession au pouvoir, les rois francs ou germains étaient promenés devant leurs troupes sur un pavois, lequel était un grand bouclier. Ainsi Clovis Ier, roi des Francs, fut élevé sur le pavois vers l'an 481.




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Durant une longue période s'étendant du moyen âge à la fin du 19e siècle, les nobles puis les bourgeois aisés firent grand usage de la chaise à porteurs. Les manants se découvraient sur leur passage en témoignage de leur servitude volontaire.



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Les bourgeois souffreteux qui avaient les moyens de faire des cures z'aux z'eaux firent également grand usage de la chaise à porteurs. Ici, un heureux curiste à Bourbon l'Archambault, faisant l'objet de soins attentionnés est porté en véhicule pédimobile. (D'après une carte postale d'époque).




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Les colons arrivant dans les savanes du Katanga découvrirent le tippoy. Ce mode de portage, réservé traditionnellement aux chefs indigènes, ne tarda pas à être adopté par eux. C'est ainsi qu'il a véhiculé nombre de chercheurs de minerais et autres aventuriers colonisateurs.



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Les papes de Rome utilisèrent aux cours de leurs rites et gesticulations, et ce jusqu'à une époque très récente, la sedia gestatoria, directement inspirée de celle des phararons de la XVIIIe dynastie, y compris les chasse-mouches en plumes d'autruche qui sont une copie conforme.




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Nos présidents de la république respectent une tradition qui consiste à passer en revue les troupes, en réalité un petit détachement symbolique, à l'occasion de la fête nationale du 14 Juillet. Ils n'utilisent plus le pavois ni la chaise à porteurs mais un véhicule automobile. Pourtant la symbolique reste la même, les porteurs virtuels étant les contribuables, lesquels financent traditionnellement les dépenses de l'état. Ainsi, en trois millénaires, les schémas comportementaux des détenteurs du pouvoir n'ont guère évolué.


    
File: portage.html, 2007-01-12 - Robert L.E. Billon - Last update: 2011-05-15