La publicité et ses moyens vus à la lumière de l'histoire

xénophobie, chauvinisme, racisme, propagande...

"La République n'a pas besoin de savants". Cette phrase historique est attribuée a Dumas, président du tribunal révolutionnaire, à l'occasion du procès de Lavoisier. Par contre il semble bien qu'elle ait besoin de commerçants, donc de publicitaires.

En France la publicité est probablement née le 1er Janvier 1836, lorsque le journaliste Emile de Girardin (Paris 1806 - id 1881), créateur de la presse à bon marché ayant recours à la publicité, inséra dans La Presse, la première réclame. Depuis, la publicité est devenue un métier et les publicitaires, à défaut de faire preuve d'imagination, ont toujours fait preuve de beaucoup d'opportunisme. Leur échine souple et leur esprit pragmatique leur permettent de s'adapter aux circonstances et aux évènements et d'en tirer chaque fois le meilleur parti. On pourrait presque retracer l'histoire récente d'un pays à travers ses publicités.

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Les périodes de guerre ont été particulièrement productives. Ainsi, de 1914 à 1918, les soldats du front constituent une cible de choix, non seulement pour l'ennemi mais aussi pour la publicité.

Nous avons souvent entendu l'expression "C'est l'heure des braves", voilà peut-être bien là son origine. L'humour noir règne sans retenue, en effet l'heure qu'indiquera la montre Ligeron au soldat des tranchées peut aussi bien être sa dernière heure. L'important est de le persuader qu'une montre gadget lui est indispensable. Sans doute pour lui permettre, à défaut de tuer l'ennemi, de tuer le temps. Quant aux civils, ils pourront afficher leur patriotisme.

Les temps changent, les montres aussi. De nos jours la publicité porte surtout sur les montres de plongée. Ou bien les montres hors de prix pour nantis, ainsi, à défaut d'afficher leur patriotisme, ils peuvent afficher leur richesse.


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Certains poilus sont amenés à quitter le front avant la fin des hostilités par suite d'inaptitudes au combat acquises face à l'ennemi. Les membres manquants sont chose courante et afin de pouvoir assurer un minimum d'autonomie aux mutilés de guerre, l'industrie des prothéses tourne à plein régime. Rien de tel qu'une guerre pour relancer une industrie. Ici encore la publicité connaît des heures de gloire, chaque fabricant tenant à faire savoir haut et fort les avantages et la sophistication de son produit. Nous avons sans doute échappé de peu à des slogans tels que "Natura vous fait une belle jambe".


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On les aura !
Ces mots terminaient l'ordre du jour du général Pétain le 10 Avril 1916.

Qu'est ce qu'on aura ?
Les pieds gelés dans les tranchées ? Mais non... les bas de laine des petits épargnants.

Publicité et propagande sont ici réunies, revigorant au passage l'industrie de la carte postale. Les soldats donnent leur sang sur le front, il serait injuste que les civils ne participent pas à l'effort de guerre. Ainsi la campagne pour les bons de la Défense Nationale fait appel au civisme des français afin de récupérer l'or des petits épargnants. Les naïfs verront ainsi leur épargne perdre 60 % de sa valeur en quelques années, alors que pendant ce temps celle des malins fructifie. Une des plus grandes escroqueries de l'état français.


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Xénophobie et chauvinisme inspirent les publicitaires.

Seul un dentifrice absolument français... bla... bla...





Si la guerre vous donne des maux de tête, seule l'Aspirine bien de chez nous... bla... bla...


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La religion aussi...

A une époque où le peuple n'a pas encore accès à la culture, la religion maintient une chappe de plomb sur les esprits. Les victimes sont invitées à se détourner des produits qui ne seraient pas catholiques.

Tant qu'on y est, pourquoi ne pas vendre du vent, autrement dit, la religion elle-même. Le commerce des prières est juteux, en effet, imprimer quelques torche-cul foireux ne coûte presque rien.


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Enfin, le racisme.

Dans les périodes où la propagande raciste bat son plein (affaire Dreyfus), l'indignité des publicitaires atteint des sommets. Comme le montre le pavé ci-contre, la presse et le négoce sont particulièrement ignobles. On remarquera, et ce n'est pas un hasard, qu'il s'agit ici, encore une fois, de presse catholique.


Nonobstant quelques nuances, publicité et propagande ont beaucoup de point communs. La publicité a pour but de vendre des objets (le véhicule qui permet à l'argent de circuler), elle dispose des budgets des producteurs. La propagande a pour but d'inculquer des idées (les idées sont le véhicule qui, par exemple, amènera un peuple à accepter une guerre, source de profits colossaux pour les capitalistes de tout poil), elle dispose des budgets immenses des états.

Depuis les souvenirs cuisants de la seconde guerre mondiale où Josef Goebbels et ses acolytes portèrent la propagande aux limites de la perfection, les états dits démocratiques n'osent plus l'effronterie de se doter de services propagande officiels. Ils laissent ainsi le champ libre aux publicitaires, lesquels sont moins en ligne de mire des citoyens. C'est ainsi qu'ils ont maintenant la main-mise à la fois sur le marché des objets et sur celui des idées, pour le plus grand profit du capitalisme libéral, mondial féroce et sauvage.

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Eloge de la publicité

Sans la publicité que saurions-nous sur les produits d'hygiène hypersophistiqués, les aliments diététiques miracles, les omégas indispensables, les savons bienfaisants, les dentifrices protecteurs et la douceur de la mousse du shampoing ? Et tous les produits contre les maux de tête, les aigreurs d'estomac, le mal de dos, les fuites d'aura, les odeurs de transpiration, les petits boutons, les gros bobos, les hémorroïdes, le stress, le déficit en calcium, le manque de magnésium, le déséquilibre du potassium, les lunettes sales, les appareils dentaires nomades, l'anorexie postprandiale. Et aussi comment gagner de l'argent facilement en restant chez soi, perdre soixante kilos en quinze jours et affiner sa taille grâce à la gymnastique passive, ainsi que mille autres merveilles toutes aussi indispensables.
-- rleb, Mars 2006

- citations -

«Faire de la publicité c'est agiter un bâton dans l'auge à cochons.»
-- George Orwell (Motihari, Inde 1903 - Londres 1950

«La pub, sauf exception, est la face noire de la création, elle ment, bluffe, flatte les instincts les plus bas, surfe sur le sexe, crée l'insatisfaction et le ressentiment, fabrique des obèses sous prétexte de sponsoriser le sport, [...]»
-- Bernard Maris, Antimanuel d'écomie 2, Editions Bréal, 2006

«La publicité après être entrée en nous par les yeux, est passée ensuite par nos oreilles. Alors je pose une question alarmante. Demain, par quel autre orifice la pub va-t-elle chercher à s'immiscer en nous ? Je n'ose y répondre...»
Philippe Val, No Problem, Le cherche Midi Editeur, 2000

L'illustration ci-dessus est extraite de :
SCIENCES et VOYAGES, N°110, 6 Octobre 1921

Bibliographie
L'histoire de France illustrée par la publicité, Jean Pierre Debbane, Editions Debbane, Grenoble 1987
Un livre extrêmement bien documenté, plein d'humour et de philosophie. Encore faut-il arriver à le dénicher.

Commentaire de J. P. Debbane
"Un petit mot pour vous dire que j'ai beaucoup apprécié l'analyse et les commentaires que vous avez faits sur mon bouquin L'histoire de France illustrée par la publicité. Merci d'en avoir dit du bien et surtout bravo pour votre site qui tente de remettre les pendules à l'heure...
Cordialement"

-- J. P. Debbane - 30 Octobre 2005

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La pratique de la récupération

De nos jours, on a vu un président de la république tenter de "récupérer" Guy Môquet et un parti politique s'approprier Jeanne d'Arc. Ce phénomène n'est pas nouveau. Les publicitaires ont pratiqué de longue date la récupération et Jeanne d'Arc a souvent bénéficié de leurs faveurs.

Ainsi, de "bouter l'Anglois" hors de France à bouter les tâches hors du linge, il n'y avait qu'un pas. Eh bien ce pas fut franchi en 1928 par la Maison Buhler. Au passage, admirez la performance ! Jeanne d'Arc "détache tout sans auréole". Qui ne se souvient en effet que le 9 mai 1920, le pape Benoît XV, en présence de l'ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, Gabriel Hanotaux, canonise Jeanne d'Arc. En langage courant on dirait simplement que "le pape l'a mise en sainte". Or tout saint ou sainte est habituellement doté d'une auréole. Donc, pour Jeanne d'Arc, détacher sans auréole, c'est un peu comme pour le plongeur sous-marin de plonger en apnée ou bien pour l'alpiniste de faire l'ascencion de l'Anapurna sans emporter d'oxygène.


(Merci encore une fois à Jean Pierre Debanne d'avoir attiré mon attention sur cette publicité)
-- rleb, janvier 2012

    
File: publicite.html, 2005-08-28 - Robert L.E. Billon - Last update: 2012-01-17